La baston dans la jungle "The Rumble in the Jungle" : Ali-Foreman, le jour où Kinshasa est devenu la capitale du monde entier.

La baston dans la jungle "The Rumble in the Jungle" : Ali-Foreman, le jour où Kinshasa est devenu la capitale du monde entier.

The Rumble in the Jungle (littéralement « La baston dans la jungle ») est un combat de boxe qui a opposé les Américains Mohamed Ali et George Foreman à Kinshasa, au Zaïre en fin octobre 1974 pour le titre de champion du monde poids lourds de boxe anglaise, qui s'est résulté par la victoire de Mohamed Ali par KO au 8ième round. Grâce à ce combat de boxe, Kinshasa deviendra pour un moment la capitale du monde entier »; Kinshasa est promue « capitale des noirs » le temps d'une soirée du 30 octobre 1974.Contexte Politique

Politiquement, le contexte de guerre froide qui se définit à travers le monde autour des idéologies dites « de démocratie libérale et des démocraties sociales », est présent sur le continent africain. Le sport devient ainsi un moyen de promotion politique, on pense aux Jeux olympiques de 1936, à Berlin sous le régime nazi, ou au combat « Thrilla in Manila » qui faisait la promotion de la politique du président Ferdinand Marcos. Le monde occidental avait une vision négative de la politique d’authenticité de Mobutu. Le président voulait effacer la mauvaise perception du contexte de l’Indépendance du Congo en 1960. On aurait pu envoyer les deux pugilistes au Kenya, ancienne colonie anglaise, ou bien au Sénégal, ancienne colonie française, on a finalement choisi le Zaïre parce qu’il y avait une très forte dichotomie entre le régime belge de Léopold II et le régime français et anglais. Ce pays a été victime du pire impérialisme qui soit ; mains coupées, extraction du caoutchouc et de l’ivoire en proportions inégalées, etc.

On doit prendre le « Rumble in the jungle » dans un contexte de la politique d’authenticité du président Mobutu. Elle prend fondement en 1971 trois ans avant le couronnement du nouveau champion Mohamed Ali. Ce concept se définit comme « la recherche d’une méthode appropriée de développement adapté à un pays sous-développé ». L'authenticité pour Mobutu est une « prise de conscience du peuple zaïrois de recourir à ses sources propres, de chercher les valeurs de ses ancêtres afin d’en apprécier celles qui contribuent à son développement harmonieux et naturel. C’est le refus du peuple zaïrois d’épouser aveuglément les idéologies importées ». Pour Jonathan Eig « une rencontre entre deux noirs dans un pays de noir organisé par des noirs et attendu par le monde entier : voilà une victoire du mobutisme ». Bien que les habitants vivent sous le patriarcat d’un homme, « père de la nation », et sous l’hégémonie d'un parti unique, cet événement a pu réveiller une flamme d’unité autour d’un moment historique.

Panafricanisme de l'événement et fête Amérique/Afrique

La couverture médiatique est importante pour comprendre la diffusion du panafricanisme. L'hebdomadaire panafricaniste Jeune Afrique couvre tout du combat, tout comme le journal de Côte d'Ivoire Fraternité Matin. On pouvait lire sur les murs « Président Mobutu grâce à ce combat de boxe, Kinshasa deviendra pour un moment la capitale du monde entier »; Kinshasa est promue « capitale des noirs » le temps d'une soirée.

Mohamed Ali s'inspire des dires de Marcus Garvey et de William Du Bois sur cette idée d'un nationalisme noir et d'un retour aux racines africaines. Il se dit « africain » et, dans ce contexte, s'il était le « gentil », le « méchant » était forcément Foreman. Le grand George Foreman, ne sachant pas que le chien était associé au régime colonial, avait amené son animal de compagnie. Même sa tenue vestimentaire pouvait laisser penser qu'il n'avait pas l'Afrique à cœur, il était vêtu à l'occidental d'une salopette en jean et portait une casquette. Ali le couvrait d'injures en prétendant qu'il était associé au pouvoir belge.

Accomplissement de plusieurs années de préparation, Mobutu et le promoteur Don King tentent d'ériger avec ce combat un sentiment nationaliste à une époque où les États-Unis rencontrent d'importants problèmes de société liés à la ségrégation raciale et aux droits civiques. Le promoteur Don King établira dans le cadre du combat de grandes festivités autour des arts des diasporas africaines. Des noms comme James Brown, B. B. King et Lloyd Price sont chargés de propager la fierté noire. L'Amérique latine s'invite aussi avec Celia Cruz, qui revendique un lien très fort avec son afro-cubanité. Pour compléter cette liste d'artistes ayant contribué aux soirées d'avant combat, on compte Miriam Makeba et Hugh Masekela, tous deux exilés d'Afrique du Sud et actifs contre l'apartheid.

L'idée du promoteur est de faire de l'ensemble de l'événement une extension du Festival des arts nègres lancé en 1966 par le poète et président Senghor dans la capitale sénégalaise Dakar, ou du concert Soul to Soul de 1971 au Ghana. Le combat en serait le point culminant.

Un élément central est l'emploi par Mohamed Ali des vêtements comme symbole marqué de son appartenance africaine. Habillé de tenues locales, utilisant souvent le pagne imprimé et le wax adopté par l'Afrique de l'Ouest, le boxeur du Kentucky choisi pour le combat « un peignoir blanc en basin damassé décoré de bandes tissées de fil indigo et blanc provenant d'Afrique de l'Ouest ». Il y a aussi sa ceinture dont les extrémités sont « embellies d'un travail de perle caractéristique du peuple Kuba du Zaïre », comme le mentionne Claude Boli dans son livre Mohamed Ali. Passant du temps dans les rues avec les jeunes, organisant des rencontres pour parler du combat, Ali est adulé, les gens criant sur son passage « Ali bomayé ! Ali Bomayé ! », soit « Ali tue le, Ali tue le ! ». Son engagement dans la lutte contre la ségrégation et son refus d'aller se battre au Viêt Nam sont des raisons pour lesquelles les Africains l'adorent. En peu de temps, Muhammad Ali, séducteur hors pair, doué pour les déclarations fracassantes, s'attire la sympathie du public.Mobutu et Mohamed Ali à Kinshasa Fierté envers le combat et envers Mohamed Ali

Pour Mohamed Ali, ce combat est plus qu'un simple combat de boxe, c'est un événement transcendant, comme une renaissance. En apprenant quelques mots en lingala, la langue nationale du Zaïre, le boxeur de Louisville permet à ses habitants de penser que le monde les regarde. Comme le mentionne l'article paru dans l'édition de Jeune Afrique du 9 novembre 1974 « l'enjeu était autrement plus important et le Zaïre a démontré à cette occasion sa capacité d'organiser à la perfection une compétition sportive du plus haut niveau ». Pour les Zaïrois, c'est le retour d'une fierté oubliée, pour les nations africaines et américaines, le combat représente une certaine forme de réconciliation, un espoir qui permet aux Africains de passer à une phase d'autodétermination politique, culturelle et économique.

Le combat du 30 octobre met en lumière une Afrique fière et contemporaine, la retransmission télévisée est disponible partout dans le monde. Le New York Times estime avant le match que cinquante millions de personnes devraient le visionner en direct, et que de 300 à 500 millions le regarderont en différé. Plus de 80 000 spectateurs assistent au combat, dont environ 40 000 Zaïrois, mais pas Mobutu, qui craint pour sa sécurité. À la victoire de Mohamed Ali, les Zaïrois sortent dans les rues, chantant et criant « Ali, Ali, Ali ! ». À cet instant, le Zaïre est dans l'Histoire, il est ancré dans la réalité historique parce que ce combat a transcendé le sport. Ce combat est un capital culturel comme le disait Bourdieu. Il est parvenu à « briser ce qu'il pouvait briser dans la citadelle du racisme ».Mohamed Ali et George Foreman Déroulement du combat

Le combat, organisé par Don King, est rendu possible par l'offre de cinq millions de dollars faite au champion et au challenger par le dictateur Mobutu Sese Seko qui souhaite ainsi faire la promotion de son pays. L'annonce du combat a lieu le 20 mai 1974. Les deux champions s'entraînent tout l'été à Kinshasa, Ali faisant notamment de longues courses le long du fleuve Congo afin de parfaire son endurance. L'affrontement est initialement prévu le 25 septembre mais est repoussé, Foreman devant soigner une coupure au-dessus de l'œil. Le combat se déroule à 4 heures du matin (il peut ainsi être diffusé en direct à la télévision américaine à 22 heures) le 30 octobre 1974, à Kinshasa, dans le stade du 20 mai contenant près de 100 000 spectateurs dont la majorité crie en lingala « Ali bomaye ! » (« Ali tue le ! » en français).

Ali, dont le meilleur coup est le jab et dont le principal atout est la mobilité, reste la majeure partie du combat dans les cordes (l'équipe de Foreman accusera les soigneurs d'Ali d'avoir distendu les cordes quelques minutes avant le combat mais l'arbitre Zack Clayton a vérifié leur tension) et surprend Foreman en lui envoyant dans les premiers rounds plus de directs du droit que du gauche. La garde haute, encaissant avec douleur les coups violents du champion et rebondissant contre les cordes, Ali trouve le moyen d'épuiser Foreman et de l'obliger à combattre plus de cinq rounds. À bout de souffle, le visage tuméfié par les coups d'Ali, Foreman tombe KO au 8e round se relevant une seconde trop tard. Mohamed Ali reprend ainsi son titre dix ans après son premier combat contre Sonny Liston.Mohamed Ali met K.O. George Foreman Ce combat, c'est aussi un retour aux racines du peuple afro-américain. L'argent remis aux boxeurs passera à l'histoire, cinq millions de dollars chacun pour huit rounds dû au KO. Le prix des billets était d'environ 2 000 dollars et plus pour ce combat légendaire selon les organisateurs.

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