Sur les Émeutes de janvier 1959 à Kinshasa et le reste du Congo Belge

Sur les Émeutes de janvier 1959 à Kinshasa et le reste du Congo Belge

Les émeutes de janvier 1959 de Léopoldville sont une série d'émeutes et de troubles sociaux s'étant déroulés à Léopoldville (Kinshasa), alors au Congo belge (RDC), au mois de janvier 1959 et marquant un tournant décisif vers l'indépendance du géant Congo. Les émeutes éclatent après que les autorités coloniales ont interdit aux membres du parti politique de l'ABAKO de manifester le 4 janvier 1959. La répression est très violente. Le nombre exact de victimes n'est pas connu à ce jour, mais au moins 500 personnes auraient perdu la vie. Le Congo belge obtient son indépendance près d'un an et demi plus tard, le Jeudi 30 juin 1960, devenant la République du Congo-Léopoldville.

Sur les Émeutes de janvier 1959 à Kinshasa et le reste du Congo Belge

Origine des émeutes

Les Congolais étaient pourtant engagés dès 1956 dans une prise de conscience politique grandissante. Les Congolais des villes s’informent : ils lisent les journaux et écoutent la radio. Ils ont entendu quelques mois plus tôt, le général de Gaulle, à Brazzaville, de l’autre côté du fleuve, lancer son appel à une "Communauté" entre la France et ses colonies d’Afrique ou l’indépendance immédiate, en précisant : "Qui veut l’indépendance peut la prendre aussitôt !". Ils ont suivi, même grâce à Radio Moscou, la crise de 1956 après la nationalisation du canal de Suez par le président égyptien Nasser. Ils savent que le Ghana est indépendant et que d’autres pays vont suivre.

Au Congo, des intellectuels avaient publié dès 1956 le "Manifeste de Conscience africaine", ignoré par le pouvoir colonial, et l’Abako avait suivi la revendication d’une "indépendance immédiate".

Patrice Lumumba, qui deviendra Premier ministre en 1960, tient, dès son retour du congrès d’Accra, fin décembre 58, à Léopoldville, le premier meeting politique de l’histoire du Congo, devant 8000 Congolais : "Le peuple congolais a droit à son indépendance !". Ce meeting comme le congrès d’Accra ont été largement suivis par les journaux congolais.

Enfin, les mille participants congolais à l’Expo 58 ont rencontré à Bruxelles des tiers-mondistes, des indépendantistes et des progressistes dans un grand bouillonnement intellectuel : ils veulent l’"autodétermination". À partir de 1956, se créent les partis politiques et les syndicats congolais.  

Les aspirations indépendantistes sont dans l'air depuis quelques années et une flopée de partis politiques se coudoient pour gagner le soutien de la population. Parmi eux, deux partis se détachent: l'Alliance des Bakongo (ABAKO) de Joseph Kasa-Vubu et le Mouvement national congolais (MNC) de Patrice Lumumba. Le 28 décembre 1958, Lumumba organise un grand rassemblement MNC à Kinshasa, lors duquel il fait un compte rendu de la Conférence des peuples africains qui s'est déroulée à Accra, au Ghana plus tôt ce mois-là et à laquelle il a participé. Vu le succès de son rival, Kasa-Vubu décide d'organiser son propre rassemblement une semaine plus tard, le dimanche 4 janvier 1959.

Les Émeutes

Kasa-Vubu doit s'adresser à la foule sur le thème du nationalisme africain, mais lorsqu'il soumet une demande pour organiser son rassemblement au Young Men's Christian Association (YMCA), les autorités belges l'avertissent que si l'évènement venait à se politiser, les dirigeants de l'ABAKO seraient tenus pour responsables. Interprétant cette mise en garde comme une interdiction, l'ABAKO tente le 3 janvier de reporter le rassemblement, mais le dimanche, le 4 janvier 1959, une foule épaisse se rassemble tout de même devant le YMCA. Kasa-Vubu et d'autres responsables de l'ABAKO arrivent sur les lieux et essayent, en vain, de renvoyer les manifestants chez eux. Les violences commencent après le refus des manifestants de se disperser.

Le foule commence à lancer des pierres sur la police et à s'attaquer à des automobilistes blancs, puis les violences prennent de l'ampleur. En effet, le groupe initial des manifestants est rapidement rejoint par près de 20 000 Congolais qui sortent d'un stade de foot environnant. Selon les estimations de la presse de l'époque, ce sont quelque 35 000 Congolais qui se retrouvent impliqués dans ces actes de violence, qui se dirigent rapidement vers la partie européenne de la capitale. Les émeutiers auraient cassé et pillé des vitrines, brûlé des missions catholiques et passé à tabac des prêtres catholiques. L'ordre n'est restauré qu'à la suite de l'intervention d'officiers de police congolais employés par le gouvernement colonial belge et de l'utilisation de voitures blindées.

Les autorités coloniales arrêtent 300 Congolais, dont Kasa-Vubu (qui deviendra par la suite le premier président du Congo indépendant), Simon Mzeza et Daniel Kanza (le vice-président de l'ABAKO), et les accusent d'incitation à l'émeute.

Les conséquences

Les estimations sur le nombre total de victimes des émeutes varient entre 250 et 500. Au-delà de ce nombre élevé de morts, les émeutes de janvier 1959 marquent un tournant dans le mouvement de libération du Congo et forcent les autorités belges et coloniales à reconnaître l'existence de sérieux problèmes au sein du pays. Ces émeutes sont à l'origine d'un imbroglio au sein de l'administration coloniale à la tête de laquelle se trouve Henry Cornelis, gouverneur général et du ministère du Congo belge et du Ruanda-Burundi dirigé par le ministre Maurice Van Hemelrijck. La visite sur place à Léopoldville de Van Hemelrijck lui a fait découvrir un gouverneur général désemparé, au bord de la dépression. Il faut l'intervention du premier ministre Gaston Eyskens et du Roi Baudouin pour calmer les tensions. Cornelis est maintenu en place, mais ce qui a été appelé l'"Affaire Cornelis" ne fait que diminuer le crédit du ministre et du gouverneur auprès des Congolais.

Tout de suite après les évènements, les autorités belges jettent le blâme sur les Africains sans emploi, précisant toutefois que la majorité des 250 000 habitants de la ville n'étaient pas impliqués. Néanmoins, quelques jours plus tard, les autorités belges s'activent rapidement pour mettre en place des réformes qui offrent aux Congolais plus de pouvoir de décision quant à leur propre gouvernement et annoncent même la tenue d'élections en décembre 1959.

Le 4 janvier est désormais un jour férié en République démocratique du Congo, connu sous le nom de journée des Martyrs. Les évènements marquent la radicalisation du mouvement pour l'indépendance et sonnent le glas du contrôle belge du Congo. Cette radicalisation se produit dans les deux camps : pour la première fois, un groupe de Congolais montre sa volonté d'avoir recours à la violence pour obtenir l'indépendance, tandis qu'un certain nombre de membres de la communauté blanche se prépare de plus en plus à des affrontements. Un groupe de blancs planifie même un coup d'État au cas où un gouvernement à majorité noire s'emparerait du pouvoir.

Les émeutes favorisent également un regain de popularité pour le Mouvement national congolais (MNC), le principal rival politique de l'ABAKO. Depuis les évènements de janvier, l'influence de ces deux partis s'étend pour la première fois au-delà des grandes villes. Les manifestations nationalistes et les émeutes se font de plus en plus fréquentes dans le courant de l'année 1959, et un grand nombre de noirs ne provenant pas de la classe des "évolués" se rallient au mouvement indépendantiste. En outre, l'arrestation des principaux dirigeants de l'ABAKO laissent le MNC en position avantageuse.

Vers l'indépendance, Janvier 1959 - janvier 1960 : une année de paralysie

Sur les tableaux des écoles pillées, on pourra lire, écrit à la craie, et cité par l’historien Jean-Marie Mutamba : "Tous les Congolais veulent l’indépendance !" ou encore : "Qu’on nous excuse ce malheureux geste que d’aucuns trouveront brutal, car au fond nous n’y sommes poussés que par la soif de notre indépendance".

Quelques jours plus tard, le 13 janvier, en réponse au soulèvement, le roi Baudouin annonce à la radio : "Notre ferme résolution est aujourd'hui de conduire, sans atermoiements funestes mais sans précipitation inconsidérée, les populations congolaises à l’indépendance dans la prospérité et la paix". Les Congolais considéreront logiquement cette promesse comme un acquis.

L’année qui suivra le soulèvement est celle de l’immobilisme, ce qui provoque la troisième rupture : la profonde méfiance des Congolais vis-à-vis des Belges : indépendance ou pas ? C’est l’année des "atermoiements funestes", pour reprendre la formule du roi Baudouin. Le monde politique belge est en fait tiraillé entre plusieurs courants opposés.

Au Congo, la plupart des Belges espèrent freiner le mouvement et conserver leurs acquis, ce qui aggrave la rupture et provoque chez les Congolais un raidissement plus fort encore. Les régions rurales se radicalisent à leur tour : l’Etat colonial perd le contrôle de la province de Léopoldville, où l’Abako lance la désobéissance civile, avec une police et une justice parallèles, le refus de l’impôt et le boycott des premières élections. La province Orientale (tout le nord-est du Congo) est touchée par un large mouvement de résistance civile.

Un an plus tard, fin janvier 1960, le gouvernement belge organise enfin la Table ronde belgo-congolaise, pour négocier les contours de l’indépendance. La Belgique croit pouvoir mener le jeu. Les partis congolais font bloc : ils refusent de négocier le principe de l’indépendance, puisqu’elle a été annoncée dès janvier 1959 par le roi Baudouin. Ils exigent de négocier d’abord sa date : ce sera le 30 juin 1960, et sans vraie préparation. Après l’aveuglement et la paralysie, ce sera "la précipitation funeste". La décolonisation du Congo belge est un échec.

Adjuvant KRIBIOS-KAUTA


Lire la suite